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Les grands hommes

« Nous qui sommes sans passé, les femmes ; nous qui n’avons pas d’histoire

Depuis la nuit des temps, les femmes ;  nous sommes le continent noir »

(Hymne du MLF)

Le président Hollande a choisi de faire entrer deux femmes au Panthéon, comme le lui avait suggéré le rapport Bélaval, qui avait souligné que seules deux femmes y avaient jusqu’à ce jour été enterrées (dont Sophie Berthelot au titre de sa « vertu conjugale »). Cette décision fait écho à la politique de féminisation des noms de rue et des stations de tramway  engagée par la Mairie de Paris – rappelons que seules 3 stations de métro sur 301, et 2% des noms de rue de France portent le nom d’une femme.

Cette ambition nouvelle de féminisation de nos lieux de mémoire suscite un certain émoi. Pour beaucoup, choisir un nom de femme ne présente pas d’intérêt : c’est du « féminisme primaire », de la discrimination positive ; cela n’a pas de sens de rendre hommage à une femme « juste parce qu’elle est une femme » (entendu récemment : « Olympe de Gouges n’a rien fait de sa vie ») (sic). Le préjugé sexiste est patent. Olympe de Gouges est un personnage historique complexe et plutôt sulfureux : victime d’une justice expéditive pour avoir dénoncé les massacres de septembre, elle incarne, avant toute chose, la résistance à la Terreur, par son refus de voter la mort du roi, puis son opposition virulente à Robespierre. De cet engagement, il n’est jamais question lorsqu’on débat des hommages qu’il faudrait lui rendre ou ne pas lui rendre. De même, le rejet épidermique dont fait parfois l’objet Simone de Beauvoir est, bien souvent, une critique de Jean-Paul Sartre, dont elle fut pourtant une compagne libre et distante.

Mais voir dans la féminisation de notre toponymie une « discrimination positive » relève surtout d’une conception étroite et datée de l’histoire, vue comme le fait des princes, des chefs et des guerriers. Dans cette histoire, les héros sont des Hommes d’Etat, des Hommes de pouvoir. Ce sont donc, logiquement, des hommes – avec un petit h. Ainsi le côté masculin de l’histoire est posé en universel censé nous raconter tous et toutes. Judith Butler note, dans Trouble dans le genre, la permanence de cette équation « masculin = non marqué par le genre = universel » : le masculin nie l’incarnation qui le marque socialement et s’érige ainsi en absolu abstrait. Comme dans la grammaire, le masculin se pose comme neutre. Ce faisant il rend invisible l’autre moitié de l’humanité, et les rapports de pouvoir qui s’établissent entre les genres.

« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme. »

Dans cette histoire, les femmes ont disparu. La fin du cens, conquise en 1848, porte le joli nom de suffrage « universel ». La prospérité économique est pour l’essentiel le fait des hommes, puisque le travail des femmes est réputé dater des années 60.  Margaret Maruani a pourtant bien montré que les femmes travaillent depuis toujours – agricultrices, nourrices, domestiques, ouvrières – bien qu’en dehors du cadre salarial, donc dans l’ombre.

 

Dans cette histoire, il n’y a pas de place pour les formes de courage, d’engagement des femmes. Celles-ci sont sans doute moins spectaculaires : non pas par nature, mais à cause de leur infériorité sociale et juridique, qui les tenait en marge du pouvoir. Dire qu’Olympe de Gouges « n’a rien fait dans sa vie », c’est la mesurer à l’aune de l’idéal -éternellement masculin- du Grand Homme, comme si elle avait eu les mêmes droits et les mêmes chances que lui – droit de voter et d’être élue, d’exprimer une opinion propre sans être jugée impudente et ridicule. Virginia Woolf rappelle, dans Une chambre à soi, combien il est difficile de créer une œuvre littéraire quand on n’a ni temps pour soi, ni intimité véritable, qu’on est placée sous la dépendance spirituelle et économique d’un homme. Derrière ce refus d’accorder une place aux femmes – et aux rapports hommes/femmes – dans notre mémoire nationale se joue un processus de déshistoricisation de la domination masculine, qui tend à naturaliser les différences entre les sexes. On prête le flanc au syllogisme avancé par Spinoza dans son Traité de l’autorité politique : « Si les femmes étaient de par la nature, les égales des hommes, écrit-il, si en force de caractère et intelligence, les femmes se distinguaient au même degré que les hommes, l’expérience politique le proclamerait bien ! ». En refusant de donner à voir des exemples féminins de courage et d’héroïsme, on participe à la construction de ces qualités comme des traits masculins.

Une autre histoire est possible : Georges Duby et Michelle Perrot l’ont bien montré. Elle est nécessaire pour, sans cesse relever ce double défi : rendre l’hommage qui leur est dû aux grandes femmes – scientifiques, militantes, écrivaines – oubliées à cause de leur sexe ; et sans cesse déconstruire les pseudo-évidences biologiques et historiques.

Barbie à l’Assemblée Nationale

Jean Député porte bien ses 42 ans, dont dix passés sur les bancs de l’Assemblée. Crinière abondante et très brune (il avoue se teindre pour masquer les cheveux blancs), silhouette fine et sportive, il porte ce matin un costume bleu marine à fines rayures crème, bien taillé, une cravate de couleur vive, des mocassins discrets. Un style classique mais d’un bon goût certain. Père de deux enfants, de 13 et 16 ans, il raconte les appeler tous les jours : “ils sont ma force, mon énergie, ma fierté”, confie-t-il. Il reste très proche d’eux, malgré son divorce et les tensions incessantes avec le nouveau mari de Laetitia, son ancienne compagne.

Sur les marchés de sa circonscription, dans sa permanence, en réunion de section socialiste ou en commission des lois à l’Assemblée, Jean demeure fidèle à lui-même : discret, doux, chaleureux. A l’écoute de chacun, électeurs, collègues, attachés parlementaires. Toujours prêt au compromis, il ne se départit jamais de son grand sourire lumineux et plein de fossettes, qui parvient toujours à réchauffer l’atmosphère.

Entré en politique à l’âge de 30 ans dans le sillage de la Ministre des Finances de l’époque, dont il est le jeune protégé, il a depuis mené une carrière parlementaire ambitieuse; navigant avec sérieux et application de réunion de groupe en séance plénière, de rapport en commission.

photo d’illustration : Jean Député portant la chemise offerte par sa femme pour marquer ses dix ans de vie parlementaire.

Quelque chose vous choque ? Oui, oui, c’est normal. Je parie que ça vous choquerait moins si on parlait de Marie Députée ?

Les femmes politiques, ces hommes politiques étranges (on murmure qu’elles seraient dotées d’un vagin) font l’objet d’un traitement médiatique spécifique. On utilise à leur égard des expressions langagières et des procédés stylistiques que l’on n’aurait jamais idée d’employer si elles avaient le bon goût d’être dûment équipées de testicules. Petit tour d’horizon par Eve et Antoine.

1) L’infériorisation : “vous êtes bien mignonnes” !

Dans tout portrait de femme politique, une idée sous-jacente: c’est très charmant cette lubie qu’ont les femmes de vouloir faire de la politique. Vraiment très mignon. Adorable ! Mais ne nous y trompons pas, une femme politique demeure avant tout une femme, rien de plus. Les médias le rappellent à chaque fois qu’ils en ont l’occasion :

  • L’infantilisation par l’usage du prénom

Comme l’a constaté le rapport Grésy, les médias, lorsqu’ils parlent des femmes politiques, utilisent très souvent leur seul prénom (et quasiment jamais leur nom de famille seul): on nous parle de “Najat”, “Ségolène”, “Angela” et “Rachida” (mais jamais de “François”, “Arnaud” ou “Vincent”). Peut importe qu’il s’agisse d’une Ministre ou d’une Députée ou Sénatrice de la République.

On peut remarquer que :

– le prénom contrairement au nom de famille, marque l’appartenance au sexe faible (à de rares exceptions les prénoms sont sexués)

– l’usage du prénom, surtout seul, est la marque d’un respect moindre et infantilise la personne ainsi désignée

  • Les gossips avant tout

Les journalistes donnent, dès que possible, la primauté au fait divers romancé, à l’émotion, à l’intrigue sentimentale sur la parole politique. Nulle n’a davantage subi ce travers que Ségolène Royal, ancienne candidate à la présidence de la République, présidente de Région, ancienne Ministre, dont on a analysé la récente campagne législative quasiment exclusivement sous le prisme de sa prétendue rivalité personnelle avec Valérie Trierweiler : dès fois que vous ayez un doute, les femmes politiques sont comme toutes les femmes : des harpies sentimentales, jalouses et possessives.

Autre exemple, on trouvera dans les pages “Politique” du très austère quotidien Le Monde la mention d’une action en requête de paternité intentée par Rachida Dati : Peut-être une façon aisée et détournée d’introduire dans des journaux “sérieux”, dans les pages “sérieuses” de ces mêmes journaux, des ragots, cancans et autres médiocrités qui vont vendre du papier auprès d’un lectorat voyeur/moqueur malgré lui… et de rappeller aux femmes que si elles sont admises dans la sphère politique, elles ne le sont qu’en tant que femmes, que femelles légères.

  • Sois belle…

« En toutes circonstances, même les plus officielles, les hommes on les écoute; les femmes, on les regarde ». Ce constat amer de Brigitte Grésy se vérifie à longueur de page dans nos quotidiens grands publics, qui ne peuvent pas s’empêcher d’insister sur l’apparence physique des femmes politiques, agrémentant leurs articles de nombreux détails sur leur style vestimentaire (Ségolène portait un tailleur bleu et Martine une veste grise blablabla), leur coiffure, leur sourire… le tout fréquemment agrémenté d’allusions vaguement sexuelles, façon clin d’oeil complice “quand même, unetelle, on se la ferait bien”. La femme se voit ainsi représentée dans sa singularité de femme, constamment renvoyée à l’altérité de son corps.

A titre d’exemple, une rapide lecture des “Portraits” de la dernière page de Libération, nous apprend, à propos des Ministres du Gouvernement Ayrault :

– que Najat Vallaud – Belkacem, Ministre, baptisée la “gazelle”, “est jolie, accroche la lumière, éveille des jalousies chez les militants.”

– que Fleur Pellerin, Ministre, “est brune aux cheveux lâches, traits jeunes et asiatiques, robe de soie légère sur longues bottes de cuir noir, talons acérés”.

– à propos de Marisol Touraine : “Dans ses habits, tout est rouge ou presque, dont une bague en forme de gros pétale. «J’aime bien cette couleur.»” On y convoque même “sa meilleure amie” pour décortiquer son style : “ «C’est sa façon cocasse de s’habiller, raconte sa meilleure amie, Françoise Benhamou, une économiste. Un mélange de rétro et de moderne, mais avec toujours une foule de couleurs. ».

Les photographies retenues pour accompagner ces articles n’échappent pas à cette tendance,  comme l’ont encore récemment fait remarquer Les nouvelles news et David Abiker à propos du choix tout particulier d’illustration du portrait de la députée Barbara Pompili dans Libération, tout autant d’ailleurs que son titre : “Soeur sourire d’EE-LV”. La députée est-elle “bonnasse ou bonne soeur” ? A la vue de la photo, on peut se le demander. Dans tous les cas, pas une personne légitime pour exister politiquement de façon autonome. Bonnasse, bonne soeur : une fois de plus, la femme politique est renvoyée à une activité retirée du monde, hors de la sphère publique.

Quant au Figaro Magazine, il choisit à côté du moteur et des objectifs des femmes politiques qu’il interroge, de s’intéresser au dress code de celles-ci. Connaissez vous les choix de cravates et de chaussettes de François Hollande ?  Jean-François Copé a-t-il un faible pour les chemisettes ?

  • … et tais toi !

En plus d’insister si lourdement sur leur apparence physique, les médias tendent à mettre en avant les qualités proprement “féminines” des femmes politiques: douceur, grâce, sourire, réserve, capacité d’écoute et d’empathie…

Dans un récent portrait d’Anne Hidalgo paru dans Rue89, on nous dépeint une femme qui “parle avec douceur”, “sourit”, “produit une jolie musique avec sa voix”, et dont les mots “suintent de bons sentiments”. Libération en rajoute une couche quelques semaines plus tard, en évoquant “sa douceur soyeuse et sa langueur incertaine”. Et s’exclame à propos de Fleur Pellerin : “Et mignonne en plus, pas empêtrée dans le discours froid de l’«énarchie».” !

A l’inverse, faire preuve de qualités considérées comme masculines (fermeté, intransigeance, colère, exigence, franchise, combativité, autorité…) est impardonnable : mais pour qui se prennent-elles ?  On n’a pas oublié à quel point au cours de la dernière campagne présidentielle Eva Joly ou Martine Aubry étaient vilipendiées de toute part comme excessivement “dures”, “rigides”… Leurs conseillers en communication les ont d’ailleurs toutes les deux contraintes à se montrer plus girly, “souriantes”, “moins tranchantes”, “moins péremptoires”, “plus féminines”, “plus douces”, bref “ d’allier “la grand mère protectrice au juge intraitable”...

Si ces caractéristiques stéréotypées – beauté, séduction, douceur, etc – sont généralement évoquées comme des qualités, elles n’en constituent pas moins des “armes à double tranchant” pour les femmes politiques, comme l’analyse Cécile Sourd : “Contre-pouvoirs typiquement féminins dans les esprits, ils les desservent dans la pratique en les rendant suspectes d’user de moyens détournés et non autorisés pour atteindre leurs buts”

Ces procédés divers convergent dans un même sens : rappeler à tous que les femmes politiques sont avant tout des femmes, alors qu’en politique sans doute encore plus qu’ailleurs, le neutre est masculin. “La femme, écrivait Simone de Beauvoir, se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle (…); être une femme, c’est sinon une tare, du moins une singularité. La femme doit sans cesse conquérir une confiance qui ne lui est pas d’abord accordée”.

2) Les stéréotypes : assignation symbolique aux rôles féminins traditionnels

Il y a ensuite la tendance à présenter la femme politique comme sous la tutelle d’un homme – son mari, son père, son mentor… Un phénomène hautement révélateur de notre inconscient collectif selon lequel le statut social de la femme, même lorsqu’elle possède une carrière propre, dépend largement de celui de son mari.

Marisol Touraine demeure ainsi la “fille du sociologue”, Sophie Dessus (députée de Corrèze) la “Blonde de Chirac”, Anne Hidalgo la “potiche de Delanoë”, Barbara Pompili la fille spirituelle d’Yves Cochet dont elle vit “dans l’ombre protectrice” ! Même sur la ministre Cécile Duflot,  “la bonne copine pèse l’ombre du sénateur Jean-Vincent Placé le florentin. Les femmes sont rattachées à l’espace public par la médiation des hommes et enfermées dans des figures féminines stéréotypées d’épouses et de mères.

  • Au dessus du niveau de la mère ?

Dans n’importe quel portrait de femme politique, le journaliste ne manquera pas de vous informer consciencieusement sur le nombre et l’âge de ses enfants. Vous serez par exemple, je n’en doute pas, ravis d’apprendre dès la 3e ligne de ce Portrait que Libération consacre à Nathalie Kosciuzco-Moriset, que celle-ci est une “madone tout juste relevée de couches”. Ou encore dans ce portrait de Paris Match de Cécile Duflot, que celle-ci est “mère de quatre enfants de deux conjoints différents”. On vous met au défi de relever autant d’allusions aux bavoirs et aux biberons dans un portrait de François Bayrou ou d’Alain Juppé…

Pour Cécile Sourd, ce renvoi systématique de la femme politique à ses fonctions dans la sphère privée “a pour principale conséquence de la représenter comme en décalage par rapport à ses devoirs principaux et donc intruse dans un domaine qui ne lui est pas socialement destiné. (…) La femme qui veut réussir en politique se doit donc d’être à la fois épouse, mère, et seulement ensuite actrice politique. Ne réussira à s’imposer que la femme qui remplira correctement les rôles féminins, faute de quoi elle risque de paraître irresponsable ou indigne”. En effet, le Figaro Magazine précise que les nouvelles venues dans la politique ont travaillé et, parfois, “sont devenues mères dans la foulée”. Ouf : voilà décerné un brevet d’équilibre et de réussite. On ne va tout de même pas faire confiance à une femme qui ferait passer sa passion pour la politique avant son destin naturel de mère? Son intérêt pour les Lois de la République au dessus des Lois de la biologie ? Une mauvaise mère, voire même une femme qui n’aurait pas d’enfants, autant dire : un monstre.

Il est significatif à cet égard que la quasi-totalité des “Portraits” consacrés par la presse généraliste à des femmes politiques les décrivent comme “ambitieuses”; ce qui n’est que beaucoup plus rarement le cas pour les hommes; comme si le simple fait d’entreprendre une carrière politique constituait pour elles un pari ou un exploit remarquable, par contraste avec leur destinée naturelle de gardienne du foyer.

Peuvent-elles faire de leur maternité un atout politique plutôt qu’un handicap ? On voit de plus en plus de femmes politiques, de Sarah Palin (la “hockey mom”) à Ségolène Royal (“c’est une mère qui vous parle gnagnagna”) ou encore Marine Le Pen, tenter de mettre en avant leur statut de mères de famille sur la scène publique. L’intérêt étant de pouvoir ainsi se présenter comme pragmatiques, proches des problèmes de la vie quotidienne. Signe d’un progrès dans les mentalités  ? Pas vraiment, analysent Les Martiennes :

“ Dire:  je suis une mère et sous-entendre “une bonne mère”, c’est un peu comme si ces femmes politiques justifiaient leur présence dans un camp, la politique, où on les attend moins. Elles semblent nous dire: “j’ai fait ce qu’on attendait de moi, j’ai désormais toute ma place sur l’échiquier politique”. Comme si une femme devait cocher d’abord cette case, avant d’être candidate à toute fonction électorale. “

  • L’effet première dame

Les médias, y compris les grands quotidiens nationaux généralistes, feignent de prêter aux compagnes des hommes d’Etat  un rôle politique. Il en va ainsi de Valérie Trierweiler, qui s’est arrogé, avec la complicité des journalistes, des prérogatives proprement politiques dans la campagne législative. “Ni militante, ni élue, sans engagement partisan connu, elle n’a aucun titre pour le faire, sinon d’être la compagne de François Hollande” avait fort justement commenté Edwy Plenel. En posant une équivalence médiatique entre elle et Ségolène Royal, on met sur le même plan l’accompagnement conjugal et privé d’un homme d’Etat avec une carrière politique sanctionnée à de nombreuses reprises par le suffrage universel.

Pourtant, institutionnellement la question ne fait plus débat. Dans notre République, il n’y a pas de “Première Dame”: ce n’est ni un statut, ni une fonction ; même si des traçes subsistent de cette tradition monarchique, comme le relève le blog Régine (jusqu’à l’arrêté du 27 octobre 2011, l’art. A. 40, III du Code de procédure pénale qui prévoyait que pouvait être assimilée « à la liste des autorités administratives et judiciaires avec lesquelles les détenus peuvent correspondre sous pli fermé », « l’épouse du Président de la République », version aujourd’hui expurgée de cette mention). On notera avec le blog Régine que cette mention impliquait que le président de la République soit marié, à une femme.

Dans la séparation entre « gouvernement domestique » et « gouvernement politique », le rôle des femmes est pensé essentiellement comme celui de gardiennes des moeurs dans la sphère privée, leur rôle politique devant se limiter à l’exercice d’une “influence morale et politique” sur leur concubin/conjoint.

3) La disqualification implicite

La sociologue Marie-Joseph Bertini a montré combien, alors que “le champ sématique qualifiant l’activité des hommes est médiatiquement très riche, celui concernant les femmes se rétrécit comme une peau de chagrin à quelques formules-clefs”. En procédant à une analyse lexicographique d’un important corpus journalistique, elle a repéré cinq figures principales du “Féminin” dans les médias, qui constituent autant d’expressions toutes faites à disposition de journalistes politiques en manque de créativité ou d’imagination : la pasionaria, l’égérie, la muse, la madone, et la mère. On notera que toutes possèdent une connotation ironique, et que toutes à l’exception de la “pasionaria”, font implicitement référence à un homme (le mari de la mère et de la madone, l’artiste de la muse ou de l’égérie…).

L’expression “pasionaria” a particulièrement retenu notre attention tant son utilisation est fréquente à propos des femmes politiques. Un petit tour rapide sur Google nous apprendra ainsi que : Christiane Taubira est la pasionaria guyanaise, Geneviève Fioraso la pasionaria de l’innovation, Nathalie Arthaud la pasionaria des travailleurs, Marine Le Pen la pasionaria du FN, Christine Boutin la pasionaria des anti-Pacs, Ségolène Royal la pasionaria de la démocratie participative, ou encore Michèle Sabban la pasionaria pro-DSK.

L’expression n’est pourtant pas neutre. Elle connote l’excès, la démesure un peu ridicule, la dévotion à une cause unique. Elle fait référence à une action politique irréfléchie, moque le ridicule d’une femme passionnée qui, la naïve !, croit à ce qu’elle dit.  Elle fonctionne ainsi comme un mécanisme puissant et implicite de disqualification.

Le traitement médiatique réservé aux femmes politiques est prescripteur, autant que révélateur, d’un cantonnement symbolique des femmes à leur place immémoriale, le foyer. Aujourd’hui comme hier, l’irruption des femmes dans le saint des saints de la sphère publique, la politique, est difficile à accepter pour beaucoup. Comment donc, les femmes, non contentes de dicter la politique à la maison, non contentes d’affirmer que la politique se joue d’abord au quotidien et à domicile (“le privé est politique”, crient-elles), se piquent également de déserter cette sphère qui leur était, naturellement, destinée ?

Etre une femme libérée, tu sais c’est pas si facile

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La Parabole du Leader Price

L’autre jour, au bureau, je zonais sur internet (oui ça m’arrive) (à ma décharge ma boss m’avait demandé de classer tous les documents-ressource du serveur par thématique et ordre chronologique), et je suis tombée sur cet article. On y apprend que c’est super chouette d’être une fille, parce que qu’ “il peut suffire d’une nouvelle paire de chaussures pour que tout s’arrange”. Et puis “on mange les yaourts qu’on aime, vu que c’est nous qui faisons les courses”.

OH REALLY. Que de privilèges. Ma première réaction, outre le partage compulsif sur les réseaux sociaux, a été une crise de gloussements hystériques, qui a dégénéré en fou-rire irrépressible, puis une nausée digne du Titanic un jour de tempête, et enfin une envie compulsive de brûler un magasin Louboutin.

Je suis allée faire mes courses au Leader en continuant à pester dans ma tête contre ces Connasses-qui-foulent-au-pied-les-acquis-d’un-siècle-de-combat-féministe. Comme j’étais plutôt pressée, j’ai fait des grands sourires charmeurs aux trois hommes devant moi à la caisse pour qu’ils me laissent passer devant eux. Ce qui était, vous en conviendrez, la moindre des choses de leur part, étant donné que 1. J’avais un peu moins d’articles qu’eux à passer à la caisse et 2. Je suis plutôt pas mal performante niveau sourires charmeurs. D’ailleurs ça a marché. C’est bon d’être une fille.

Le patriarcool…

Battre des cils pour obtenir d’un homme un avantage matériel, c’est tirer parti de l’avantage principal que confère la féminité : la possibilité d’exercer un certain pouvoir sur les hommes par la séduction.

Oui, c’est indéniable, il y a des avantages, au moins ponctuels, à être une fille, ou plus précisément, à se comporter comme une (« vraie ») fille (« 101 raisons pour lesquelles c’est bien d’être une fille : 1. La tête des hommes quand on met une minijupe, 2. La tête des hommes quand on met un Wonderbra, 3. La tête des hommes quand on met des talons hauts »). C’est le patriarcool : c’est patriarcal, mais c’est cool !

 Les exemples sont légion. Très souvent, on se soumet aux normes de genre avec enthousiasme et beaucoup de bonne volonté, parce qu’on en tire un profit ou un plaisir : celui de séduire des hommes, de façon sincère ou ponctuelle et intéressée. On a donc tout intérêt et même souvent très envie, de se montrer « femme vraiment femme, c’est-à-dire frivole, puérile, irresponsable », comme le disait Simone de Beauvoir.

Par exemple, jouer l’ingénue, la décérébrée, la demoiselle en détresse, réveille facilement, chez le Mâle, des instincts protecteurs. Feindre l’admiration à grand renfort de “oh c’est tellement passionnant ce que tu racontes” (alors qu’en vrai c’est à peine plus intéressant courrier des lecteurs du Courrier Picard) : on sait que ça marche.

101 raisons pour lesquelles c’est bien d’être une fille” :

58. On peut dire « Oh, excusez-moi, monsieur l’agent, vous avez entièrement raison, tout est ma faute, je ne l’avais pas vu » et échapper à la prune.

85. Tout vœu qui commence par « Toi qui est fort, amour… » est exaucé dans 99,9% des cas.

87. Les hommes sont gentils quand ils réparent nos ordinateurs (surtout quand on fait semblant de ne rien y comprendre).)

 Alors franchement, les filles, que celle d’entre vous qui n’a jamais eu recours à ce genre de petite manipulation jette la première pierre.

 … ou la servitude volontaire

 Et pourtant tout ça, ça me gratte un peu mes petites fesses de féministe. Déjà, parce que je refuse d’admettre que les femmes soient réduites à un rôle de séductrices, cantonnées à cette forme de pouvoir indirecte et aliénante. Comme le disait Gloria Steneim: a pedestal is as much a prison as any small, confined space. Je rêve d’un monde où les femmes ne seraient pas considérées comme des objets décoratifs et pourraient être prises au sérieux pour autre chose que leur rouge à lèvre. Sans compter que je nage en pleine empathie avec les grosses, les moches et les vieilles, toutes « les prolottes de la féminité et les exclues du marché de la bonne meuf », toutes celles qui vivent à plein la domination masculine sans être en mesure d’en tirer ces bénéfices secondaires.

 Par la manière dont nous nous comportons – des normes vestimentaires aux pratiques sexuelles – nous reflétons et reproduisons volontairement, au quotidien, des normes de genre qui nous oppressent et nous maintiennent dans une position de dominées.

Comme si souvent, je n’ai pas trouvé de mots plus justes que ceux de Virginie Despentes :

« La féminité, c’est de la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour (…). Massivement, c’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure. Entrer dans une pièce, regarder s’il y a des hommes, vouloir leur plaire. Ne pas parler trop fort. Ne pas s’exprimer sur un ton catégorique ou autoritaire. (…). Plaire aux hommes est un art compliqué qui demande qu’on gomme tout ce qui relève du domaine de la puissance ».

Et pourtant, on le fait toutes, parce que le coût de la déviance est élevé. On n’aimerait pas être exclues du Grand Marché Sexuel de la Séduction, où la compétition est rude et sans pitié.

Alors, non seulement on se soumet aux normes de genre, mais on les utilise soi-même pour disqualifier les concurrentes, comme une brave petite Milicienne du Patriarcat. Mais si, vous savez bien, les filles : c’est quand vous dites d’une autre fille : « C’est vraiment une pétasse, elle se tape n’importe qui ». Phrase qui sert bien sûr à discréditer une concurrente et permet de dire aux hommes « regardez comme moi je suis une fille bien, de celles qu’on épouse » (comme l’analyse Titiou Lecoq dans son roman Les Morues). Et on feint de ne pas comprendre que tout ceci entre très légèrement en contradiction avec notre éthos féministe de petite poulette émancipée qui couche avec qui elle veut, quand elle veut, sans demander l’avis de personne. Qu’importe, à la guerre comme à la guerre !

Féminisme et schizophrénie

Est-ce que c’est grave, condamnable, de faire ainsi le grand écart entre ses actes et ses principes ? C’est pas un peu de la schizophrénie ?

Nous avons toutes, probablement, la responsabilité individuelle d’un minimum de cohérence. On ne peut pas se dédouaner allègrement du fait qu’en se prêtant au jeu, on cautionne, reproduit, perpétue, un système de stéréotypes figé, aliénant. C’est aussi chez les femmes qu’il faut traquer les réflexes sexistes larvés, en commençant par la première qu’on a en général sous la main : soi-même. Même si,  je ne vous le cache pas, c’est un peu douloureux pour une féministe de se reconnaître un comportement de femme soumise.

Autrement dit, je suis sans doute bien mignonne de donner des leçons de féminisme à la terre entière (coucou mes collègues, mes lecteurs, mes followers, mon papa, mes cousins, mes copains, mon petit frère, mon boss et le marchand de journaux de la rue des Pyrénées), mais il est sans doute temps de penser aussi à l’autocritique.

Mais la réalité, c’est que le coût de la déviance est trop élevé pour qu’aucun individu ne puisse porter tout le poids du changement social sur ses (frêles) épaules.

Les féministes ne seront jamais de bonnes compétitrices en lice pour le Prix Nobel de la Cohérence : nous sommes toutes des schizophrènes, car nous sommes toutes des dominées. Nous ne serons saines d’esprit, cohérentes, en paix avec nous-mêmes, que lorsque nous aurons aboli le patriarcat.

Et comme ça risque de prendre un peu de temps (admettons-le, c’est un risque), en attendant on navigue à vue, on se trimballe nos doutes et nos contradictions, on s’arrache les cheveux tous les matins devant la penderie. Oui je suis féministe, et je porte des minijupes, c’est sans doute une forme d’auto-réification sexuelle, et d’internalisation du regard masculin objectivant, et tout ce que vous voulez. Oui, je me nique le dos en portant des talons de hauteurs improbables, et je consacre du temps et de l’énergie à me vernir les ongles, ce qui est très objectivement absurde, c’est sûr.

On galère un peu, on fait appel à tout son humour et son autodérision pour assumer ce grand bordel existentiel, on convoque tous les auteurs postmodernes à notre rescousse pour se justifier. Et, dès qu’on peut, on recherche, à tâtons, des marges de manœuvre. Jurer comme un charretier et parler de cul librement, ça passe mieux quand on porte du vernis à ongles rouge-pétasse (si, je vous jure).

Et c’est bien pour cela qu’il me semble que le féminisme ne peut pas être simplement une question de choix personnel et d’émancipation individuelle. Il n’y a qu’une seule façon pour une féministe d’échapper à l’hôpital psychiatrique : le combat collectif.

Edit : j’ai des lecteurs et des lectrices en or, qui m’ont fait l’importante remarque suivante : cet article est hétéronormé ; les dynamiques sont fondamentalement différentes pour les lesbiennes, qui sont généralement moins promptes à rentrer dans des rapports de séduction avec les hommes.

Mais au fait, c’est quoi le «féminisme» ?

Le terme désignant tout autant les suffragettes que le manifeste des 343 salopes ou les Pussy Riot, une sérieuse explication de texte s’impose pour comprendre ce que revêt désormais ce mouvement qui reprend depuis quelques années de l’élan. Force est de constater qu’un vent de renouveau souffle sur les revendications des Femmes : l’image de la féministe n’est plus un cliché ringard envisageant une énervée voire une lesbienne cramant volontiers son sous-tif pour régler sa frustration ou ses comptes avec les hommes. La réalité de nos jours correspond plutôt à l’idée de déboulonner les idées misogynes des machos (vieux ou jeunes) et souvent en ayant recours à l’humour pour y parvenir.

Cette effervescence se retrouve dans le milieu associatif, ainsi depuis quatre ans, nous voyons de nouvelles références apparaître, pour ne citer que les plus connues commençons par le groupe d’action La Barbe lancé en 2008,  Osez le féminisme (OLF) en 2009 devenu depuis un véritable réseau dans toute la France et le Laboratoire de l’égalité qui depuis 2010 milite pour la représentativité des Femmes au sein des entreprises.

Les media ne sont pas en reste, en 2009 sont apparues Les Nouvelles News, le premier webmagazine généraliste au contenu « mixte ». Mais qu’est ce qu’un contenu mixte me direz-vous ? Et bien c’est un journal qui veille à ce que les personnes évoquées dans le contenu de l’actualité ne soient pas qu’à seulement 20% des femmes comme cela est le cas dans le reste de la presse. L’objectif de citer une femme plus qu’une fois sur cinq c’est loin de la parité mais c’est déjà militant.

On ne doit pas oublier Causette qui depuis deux ans annonce dès la couverture s’adresser à des lectrices « plus féminines du cerveau que du capiton ». Couvrant des sujets de fond en s’affranchissant de la publicité pour produits de beauté, la rédaction s’émancipe du ton habituel des magazines dits « féminins ». Grégory Lassus, son fondateur, se souvient des réactions au tout premier numéro dans un article de Télérama :

« La coïncidence entre journalisme de qualité et magazine féminin semblait si improbable qu’on nous a tout de suite collé l’étiquette « féministes ». Comme si parler de places en crèche plutôt que de crèmes de jour relevait d’un acte militant… ».

Quand on s’adresse aux femmes en ne les prenant pas que pour des consommatrices décérébrées, à des ménagères de moins de 50ans ou à des porte-manteaux ambulants et bien cela fonctionne : les ventes avoisinent les 30 000 exemplaires, et le lectorat transgénérationnel (« de 15 à 89 ans chez les abonnés ») est réparti sur toute la France.

Mais alors, s’intéresser aux véritables problématiques rencontrées par les femmes ou simplement parler des femmes, c’est de fait être féministe ? Et ben oui.

Un consensus fait démarrer le « retour » du féminisme à l’affaire DSK qui a fait déferler une ribambelle de clichés sexistes dont le summum a été l’expression de Jean-François Kahn qualifiant l’affaire de « troussage de domestique ». Je suis tentée de penser que cette prise de conscience et ce militantisme est davantage une affaire générationnelle à en juger par l’âge de ces nouvelles activistes qui correspond systématiquement à la génération Y, ne serait-ce que sur ce blog. En effet, si ma maman a connu une époque où l’autorisation de son époux était nécessaire pour qu’elle puisse obtenir un chéquier, ma génération à moi envisage l’égalité comme un postulat de départ et renverse les mœurs par leurs nouvelles attentes. Nous ne sommes pas des amazones, nous sommes des citoyennes.

Je ne peux là dessus qu’avancer ma propre expérience mais il est vrai par exemple que l’homme avec lequel je partage ma vie la partage véritablement. Il fait les courses, sait faire cuire un œuf ou changer une ampoule et ce qu’il ne savait pas faire (parce que sa maman ne lui avait jamais montré), il a eu l’intelligence de l’apprendre. Pour cela, pas besoin de lavage de cerveau ou de sermons à la maison, contribuer à égalité au quotidien est une évidence qui relève de la logique spontanée de son côté. On se rapproche là du modèle Suédois (on cite souvent la société suédoise comme exemple mais il est vrai qu’elle est en avance sur bien des choses) où l’expression de la virilité passe par la capacité d’un homme à remplir son rôle de père et à assumer ses responsabilités au sein du foyer ; ainsi il est courant de croiser un homme en costard-cravate avec des courses dans une main et une poussette dans l’autre. En France, nous en sommes encore loin.

Mais si être féministe c’est seulement vouloir l’égalité alors on est tous féministe?

Et bien non et l’inégalité  prospère. D’abord parce que les clichés ont la dent dure et que même si les lois ont été votées, le sexisme demeure. En pratique, le « féminisme » conserve une image dégradée voire dégradante alors que nous assumons toutes notre filiation (fille-iation ?) avec les générations précédentes grâce auxquelles nous avons des salaires égaux (au moins légalement), la pilule, les plannings familiaux (quand on y a accès), et les lois sur la parité, nous avons su nous adapter aux nouveaux media comme twitter, facebook ou youtube et nous avons rénové le militantisme. Nous sommes toutes d’accord sur l’idée qu’être discriminée parce que l’on est une femme n’est pas juste pourtant nous pouvons encore être frileuses vis à vis de ce qualificatif.

« Non, je suis pas féministe mais… »

Même dans les rangs des activistes, nous ne revendiquons pas toutes l’appellation. Je pense par exemple aux deux chanteuses du groupe Brigitte qui récusent le terme. Elles assument leur féminité, leur talent, leur vie de femme et de maman épanouie, leurs textes et leur posture sont clairement engagés pourtant elles expliquent ne pas être féministes. Mais pourquoi donc ?

Cela n’engage que moi mais j’ai tendance à penser que cela tient à la définition même du féminisme qui mérite elle aussi un sérieux dépoussiérage. Pour wikipedia, le féminisme « est un ensemble d’idées politiquesphilosophiques et sociales cherchant à promouvoir les droits des femmes et leurs intérêts dans la société civile. Il s’incarne dans des organisations dont les objectifs sont d’abolir les inégalités sociales, politiques, juridiques, économiques et culturelles dont les femmes sont victimes. ». VICTIMES, le mot est lâché.

Victimes des phallocrates, victimes des temps partiels et des salaires plus bas, victimes des violences et du harcèlement, victimes de nos maris flemmards, de nos pères rétrogrades, victimes de la publicité avec des filles qui n’existent que sur photoshop… VICTIMES !

Cette condition est pour le moins réductrice si ce n’est dérangeante et il est cohérent qu’elle soit reçue comme une posture pour les détracteurs qui ne réalisent pas que le féminisme n’est pas un ostracisme d’une catégorie pour ses propres intérêts mais la réponse mesurée à un problème de fond récurrent qui visent systématiquement les mêmes.

Les femmes libres sachant dire « non » ou « merde » ou  “va te faire enculer connard” ne sont pas raccords avec cette position de victime. A mon sens, le féminisme tient davantage à l’ambition que nous avons pour nous-mêmes  au sein de la société et n’est pas une affaire de genre : un homme peut tout autant être féministe qu’une femme comme une femme peut tout autant être macho qu’un homme. A chaque génération sa progression mais le féminisme  en somme est en tout temps l’idée de devoir ne pas être jugé en fonction de son sexe, quel qu’il soit.

La définition en creux de wikipedia ne révèle pas que les féministes luttent contre tous les stéréotypes autant pour les femmes que pour les hommes, comme si les revendications ne tenaient qu’à se limiter à la défense d’un pré carré exclusivement féminin plutôt qu’au bénéfice de la société toute entière. Or c’est bien la remise en cause d’un modèle global pas de l’attitude des seuls Hommes ou de la condition des seules Femmes qui est évoquée, alors pourquoi cette définition si partielle ?

Justement parce qu’aujourd’hui, parler des femmes, c’est déjà revendicatif.

L’intersectionnalité en pratique : les cacahuètes de la domination

Le 30 août les médias relayaient le scandale intervenu à la convention des Conservateurs aux Etats-Unis : deux participants blancs lancent des cacahuètes sur une journaliste noire en précisant que « c’est ainsi qu’on nourrit les animaux ». Si tout le monde a d’un commun accord, et à juste titre, dénoncé cet acte raciste, il me semble qu’il manque une dimension importante voire essentielle à l’analyse : la dimension du genre.

Il ne me paraît en effet pas anodin que ce soit non seulement deux blancs contre un noir, mais deux hommes contre une femme. C’est un cas exemplaire de ce qu’on appelle dans la littérature académique féministe « l’intersectionnalité ». Ce terme définit l’imbrication des différentes sphères d’oppression auxquelles sont confrontées et dans lesquelles évoluent les individus, et plus spécifiquement, les femmes. Genre, race et classe constituent ce que Patricia Hill Collins caractérise comme « une matrix de domination ».

« Fundamentally, race, class and gender are intersecting categories of experience that affect all aspects of human life ; thus, they simultaneously structure the experiences of all people in this society. At any moment, race, class and gender may feel more salient or meaningful in a given person’s life, but they are overlapping and cumulative in their effects. »

 

C’est une configuration plutôt classique « genre et race » qui se reproduit ici ; deux hommes blancs, probablement de classe aisée, sont en situation de domination face à la journaliste noire, tirant leur pouvoir de leur couleur et de leur sexe à la fois. La dimension de l’âge se superpose aussi certainement, renforçant la possibilité de décrédibiliser la jeune femme. Elle même ne décrit cette scène que comme raciste, insistant sur les difficultés auxquelles elle est confrontée au quotidien du fait de sa « race », bien qu’elle précise dans une interview au Witches’ Brew que les individus en question étaient des hommes. Il me paraît ainsi impossible d’ignorer qu’un rapport de domination masculine s’ajoute à leur racisme.

Peut-être que les deux conservateurs auraient de toute façon jeté des cacahuètes sur un journaliste noir de sexe masculin, mais le fait est qu’ici il s’agit d’une jeune femme. Elle sort doublement de la place qu’il lui a été attribuée par les structures sociales : c’est une femme active, dans le domaine public et politique qui plus est, et une noire qui exerce une profession qualifiée. Ces deux éléments renvoient chacun à une sphère d’oppression spécifique mais se retrouvent ici connectés, et ainsi, décuplés. Il ne s’agit pas simplement de racisme, car la personne visée est aussi une femme, et pas non plus uniquement de sexisme, car elle est noire. Ce sont bien ces deux aspects cumulés qui créent l’écart de pouvoir et qui permettent aux deux hommes blancs d’exercer pleinement leur domination. La scène inverse est simplement inimaginable : deux femmes politiques noires jetant des cacahuètes sur un homme journaliste blanc. Cela relève presque de la science fiction !

Notons aussi au passage la lâcheté des personnages qui sont en supériorité numérique et cachés parmi la foule des participants. La journaliste raconte qu’ils lui jetaient les cacahuètes depuis les gradins où ils étaient assis, d’en haut, pensant peut-être passer inaperçus… (pas très virils tout ça !).

Bien que sur un tout autre registre, ça m’a fait penser à la mémorable gifle qu’une députée communiste Grecque a reçu d’un membre du parti néo-nazi en pleine émission télé il y a quelques semaines. Quel rapport ? Il n’y a là aucun acte raciste puisque les deux sont blancs, et l’idéologie fasciste joue un rôle prépondérant dans la violence exercée par cet individu contre la députée de gauche. Mais là encore, il n’est pas anodin qu’il décide de frapper une femme plutôt qu’un homme… comme pour lui rappeler que sa place n’est pas à faire de la politique mais à être dominée et soumise au phallus.

Que l’entrée des femmes dans l’espace public soit une longue et douloureuse épreuve, encore inachevée, on le savait déjà. Mais chaque incident qui manifeste les résistances profondes à ce processus est important à relever et à analyser. De même, la théorie de l’intersectionnalité est un outil utile, voire indispensable, pour comprendre l’imbrication des sphères de pouvoir, et donc la puissance de la résistance à l’émancipation des femmes. Si ce n’est parce qu’elle est femme, alors c’est parce qu’elle noire, ou parce qu’elle est pauvre, ou parce qu’elle est jeune, etc. L’addition des dominations dans notre expérience quotidienne multiplie les barrières sur le chemin de l’égalité, et doit ainsi augmenter en conséquence notre capacité à lutter.

Puerta del Sol: la révolution sera féministe ou ne sera pas

Aujourd’hui depuis maintenant un peu plus de deux semaines, le campement qui avait pris place à la Puerta del Sol à Madrid s’est dissout pour ne laisser derrière lui qu’un point d’information et quelques irréductibles qui assiègent toujours la place. Mais de cette expérience unique en Espagne, il reste des traces et surtout des assemblées générales et des assemblées de quartiers ainsi que des commissions qui continuent à se réunir et à avancer loin du tumulte médiatique.

Parmi ces commissions, celle qui nous intéresse c’est la commission féministe. Ce fut l’une des premières commissions créées à la Puerta del Sol et aussi l’une des plus controversées. L’histoire de cette commission n’a pas fini de s’écrire à l’heure qu’il est mais parler de ses difficultés et de ses aboutissements, c’est se donner les moyens de mieux comprendre les spécificités du féminisme au-delà des Pyrénées et du sexisme qui traverse la société espagnole.

La révolution sera féministe ou ne sera pas ! Ce slogan, cette revendication semblait légitime à toutes les féministes du campement. Pourtant lorsqu’elles l’ont affiché fièrement et de manière ostensible sur une banderole, elles se sont confronté à une levée de bouclier d’ignorants qui, persuadés que le féministe n’était autre que le pendant féminin du machisme ont arraché sans ménagement la dite banderole. Car oui, en Espagne aussi le féminisme jouit d’une mauvaise réputation, d’une réputation infondée celle d’être l’apanage de femmes voulant le pouvoir, tout le pouvoir pour le confisquer aux hommes et ainsi les dominer. Suite à cette violence symbolique à l’encontre du féminisme et donc des féministes, celles-ci ne se sont pas laissé faire ; après avoir rédigé un tract condamnant cet acte et expliquant ce qu’était le féminisme, elles sont allées afficher une banderole sur l’une des façades d’un immeuble de la place. Une banderole immense, majestueuse qui arborait un message clair : « feminismos » ! Restée accrochée et visible jusqu’à la dissolution du campement, cette banderole n’a suscité aucune critique publique et était pourtant l’une des plus remarquable depuis la Puerta del Sol.

La difficile cohabitation de tous les féminismes : création de la sous-commission TransPédéGouineQueer

Ce n’est pas comme si on ne savait pas déjà qu’il n’existe pas un féminisme mais des féminismes. Seulement au cœur même d’un mouvement social aux ambitions révolutionnaires, la théorie doit se mettre en pratique et là ça coince. Tout avait bien commencé, chacune et chacun semblait trouver sa place au sein de la commission féministe. Mais très vite, certaines dynamiques internes excluantes se sont mises en place. De manière inconsciente, la norme hétérosexuelle a pesé de tout son poids dans les revendications et les priorités mises en avant par les membres de la commission. Afin de se dégager un espace de débat et de prise de décision libre de cette hétéronormativité, certaines féministes lesbiennes et/ou transgenres décidèrent de créer une sous-commission TransPédéGouineQueer. Outre la rédaction d’un manifeste pouvant compléter ou nuancer celui rédigé par l’ensemble de la Commission féministe et intégrant des revendications concernant entre autres les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes transgenres, transexuelles et intersexe, la sous-commission posa plusieurs questions fondamentales à l’heure de créer un mouvement féministe d’ampleur et non sectaire. La lutte pour « les minorités sexuelles » doit-elle être considérée comme une lutte secondaire dans le féminisme ? Se battre pour les droits de tous ceux qui gênent la norme hétérosexuelle est-ce forcément féministe ? Comment ne pas perpétuer des dynamiques et pratiques excluantes à l’intérieur des structures de lutte pour l’émancipation ? Le combat entre partisans d’une scission de la commission féministe et les autres fut âpre mais en définitive, le mouvement TransPédéGouineQueer conserva sa position de sous-commission et s’occupa d’organiser la Gay Pride Indignée, à fort contenu revendicatif et politique qui eu lieu fin juin et fut un franc succès.

Lutter contre le langage sexiste : les mots sont importants

Encore plus peut-être que dans d’autres pays, en Espagne on a l’insulte facile. Insultes qui bien souvent sont à caractère sexiste ou homophobe, raciste ou qui d’une manière ou d’une autre vise à discriminer une partie de la population. Après avoir rappelé que dans la plupart des cas, les prostituées n’avaient pas mis au monde d’hommes politiques, les féministes ont décidé d’ajouter un geste à ceux déjà codifié en Assemblée Générale. Car à force de faire des AG avec près d’un millier de personnes, un langage spécifique composé de signes distincts et identifiables avait fini par se mettre en place afin de faciliter la communication entre les intervenants et le reste de l’assemblée. Après plusieurs semaines, un geste fut donc trouvé qui signifiait à celle ou celui qui parlait qu’il utilisait un langage raciste, sexiste, homophobe et/ou excluant. A chaque insulte, mot ou geste déplacé, l’assemblée avait désormais la possibilité de dénoncer et en même temps de faire prendre conscience à son interlocuteur qu’il devait faire attention à ses paroles. Le geste a si bien été intégré que par la suite, on a vu des intervenants faire ce geste après avoir laissé s’échapper un « hijo de puta » ou autre insulte du genre. Changer les automatismes de langage prend du temps mais c’est là un bon début et certainement une initiative à importer…

Voilà donc trois pistes que nous montre les féministes indignées pour continuer et renforcer notre lutte :

–          informer sur la réalité du féminisme, son histoire et ses objectifs

–          faire l’unité des féminismes en respectant les différences et les apports de chaque féminisme en combattant l’hétérosexisme, la transphobie et le racisme au même titre que le sexisme « classique »

–          mettre notre créativité au service de la construction d’un nouvel système de communication verbal et non verbal qui ne soit pas excluant et qui ne perpétue pas les codes de la domination masculine.

Sex, gender and the city (part 1)

« Les villes, territoires, lieux ou reflets des pratiques sociales, peuvent elles être pensées sans lien avec cette différenciation sociale fondamentale qu’est le sexe ? »

S. Denèfle

Le genre offre une clé de lecture originale de l’espace urbain moderne. Il est à la base même des grandes divisions (morphologiques, économiques, sociales, symboliques) qui organisent la ville et les bâtiments qui la composent.

Pour la sociologue Jacqueline Coutras, l’assignation des femmes au foyer a constitué non seulement un devoir social, mais aussi un devoir spatial : « assurer le bon déroulement de la vie à l’intérieur de l’espace-temps du «logis» et de ses abords et maintenir une vie sociale de proximité pendant que leurs conjoints vont produire la richesse de la ville ».

La division sociale du travail a entraîné la division de l’espace urbain entre espace public – espace masculin par excellence – et espace privé, le « logis » qui symbolise la vie de famille ou la vraie place des femmes. C’est la distinction « genrée » entre travail domestique et travail salarié qui a amené la constitution d’espaces-temps distincts, correspondant à chacune de ces fonctions, et donc permis la dynamique de fonctionnalisation à l’œuvre dans nos villes depuis un siècle :

« La proximité résidentielle a pu être autre chose que l’endroit où les résidents viennent dormir, elle a pu être endroit de mobilisation sociale, car il y avait toute une vie sociale qui s’est développée à partir du travail domestique et familial, celui attribué aux femmes. »

Pour Jacqueline Coutras l’entrée massive des femmes sur le marché du travail salarié depuis une trentaine d’années a introduit un décalage entre l’organisation spatiale de la vie quotidienne et les représentations sur lesquelles le fonctionnement urbain a été édifié. Les femmes ont dans une large mesure cessé d’assurer leur devoir spatial ; elles sont de plus en plus mobiles, de plus en plus nombreuses à occuper des emplois loin de leur domicile – même si les couples bi-actifs continuent à privilégier les lieux d’habitation les plus proches du domicile de la femme, preuve que celle-ci demeure en charge de l’essentiel des tâches domestiques et parentales.

« Sortie de sa cuisine, d’un espace-temps jusqu’il y a peu limité aux murs du foyer familial, sinon aux frontières proches du quartier, la femme, à mesure qu’elle gagnait la sphère du travail, investissait la ville et ses dédales. », constate donc Josselin Thonnelier sur Urbanews.

Elle se heurte alors à un espace public urbain construit par et pour les hommes, qui la limite et la contraint dans son quotidien citadin. L’urbanisme semble bien souvent inadaptés aux besoins des femmes, qui ont tendance à esquiver ou contourner les espaces urbains peu fréquentés ou « fermés » sur leur propre environnement, tels que les parkings silos ou souterrains, dans lesquelles elles se sentent peu en sécurité. Mais ce « sentiment d’inégalité urbaine » naît aussi d’une domination symbolique de l’homme sur la ville – par exemple à travers des noms de rue, qui dans leur immense majorité font honneur à des figures masculines.

De cette double contrainte – les obligations domestiques qui conditionnent leurs déplacements ; l’insécurité qui stigmatise leur présence dans les espaces publics – nait une expérience féminine spécifique de la ville. Les femmes ne sont pas des citadines comme les autres : la façon de faire les courses, l’utilisation des moyens de transport, les heures de fréquentation, les lieux visités, la façon d’investir le logement, les quartiers, les rues, etc., sont différents…et on voit mal comment les urbanistes peuvent faire abstraction de cette réalité.

De la femme en couple

Tout commence par une histoire de gros sous, le genre d’histoire que toute fille connaîtra au moins une fois dans sa vie. J’avais un rendez-vous galant. Du moins, il s’agissait de rencontrer un garçon pour partager, ensemble, une activité de divertissement qui ne soit ni trop connotée, pour laisser planer le doute sur la conclusion de cette affaire, ni trop neutre, pour ne pas perdre de vue le but: finir ensemble. Ce sera donc une toile. Alors que nous nous apprêtions à rejoindre la salle noire, nous décidâmes de prendre au passage un encas, pour ne pas déranger nos partenaires de loisirs avec des gargouillements de ventre dérangeants.

Ce fut ce moment qui décidât de mon état: serais-je ou ne serais-je pas dépendante? Nous arrivons à la caisse. Le caissier, un jeune homme du genre à faire ce boulot pour payer son loyer d’étudiant fauché, nous pose une question rhétorique: « vous payez ensemble »? Ce à quoi, moi-même et mon compagnon de jeu répondons à l’unisson: « ensemble »/ »séparé ». Vous faudra-t-il beaucoup de temps pour deviner qui choisit de payer pour deux? Qui des deux préférera la jouer perso? Non, bien évidemment. Mon ami choisira de payer pour deux, là où je prends pour argent comptant qu’il n’y a pas de raison qu’il paye pour moi.

Un jeu social qui nous maintient dans un état d’enfance

Ce genre de scène, courante et familière, révèle pourtant une profonde injustice, et les inepties du jeu social: injuste, car à quel titre ce pauvre garçon, qui ne gagne pas plus de rond que moi et a probablement autant la pétoche d’accompagner une quasi-inconnue au cinéma, devrait payer pour la personne qui l’accompagne? Inepte, car en tant que jeune femme, bientôt adulte et prétendant à ce titre pouvoir subvenir à mes propres besoins, je n’attends de personne qu’il me nourrisse ou m’entretienne. C’est à peine si je l’accorde à mes parents. Alors pourquoi ce jeune homme fraichement rencontré, aux intentions non moins bienveillantes, devrait-il le faire?

C’est alors qu’apparait comme clair à ma vue que la femme doit être tenue dans un état d’enfance. Cet état d’enfance, j’ai appris de Monsieur Kant, qu’il guette toute personne qui est dans un état de tutelle. Les Lumières, c’est ce qui fait sortir les hommes de cet état dont ils sont eux-mêmes responsables. Mais alors, à la caisse, face à ce brave caissier qui se régalait déjà ouvertement de notre désaccord, j’ai fini par acquiescer. Il s’agissait alors de ne pas froisser mon compagnon, qui avait fait preuve de beaucoup de courage et de fausse désinvolture pour partir du principe qu’il pouvait se permettre de vider les sous de son compte en banque pour me remplir la panse. Car ce à quoi notre cher Kant n’avait pas pensé – ce qui n’en fait pas moins un génie, dont la seule limite reste qu’il soit né et mort au XVIIIème siècle – est que le jeu social a ses raisons que la raison humaine ne connaît pas.

Ce jeu social fait donc que l’homme, en l’occurrence mon cher et tendre compagnon, doit payer pour sa conjointe et que c’est un acte de galanterie. Le mot lui-même en dit long. Cherchez un peu dans le Larrousse. Trois définitions: 1. « politesse empressée auprès des femmes » 2. « propos, compliments flatteurs adressés à une femme » 3. « recherche d’aventures amoureuses, de bonnes fortunes. » Les deux premières sont donc entièrement dédiées aux femmes. La galanterie ne s’adresse qu’aux femmes et à elles seules, et elles sont les uniques bénéficiaires de ce système. Les hommes sont ici pro-actifs dans un jeu qui n’engage que leurs règles, dont la femme suit les lois. Quant à la troisième définition, elle révèle un enjeu majeur: c’est donc pour la coucher, que l’on s’adonne à de telles pratiques. Il devient comme implicite dans ce jeu imposé aux femmes, qu’elles sont redevables de quelque chose et que ce qu’on attend d’elles c’est bien qu’elles laissent s’ouvrir à défaut leur cœur, au moins leurs jambes.

Un jeu social qui n’a d’égal que son ineptie

Ces considérations sur l’indépendance kantienne sont des considérations de bourgeoise élevée à l’école de la République, me diront certains. Ce sont donc des principes présents dans notre éducation, je rétorquerais. Des principes qui appellent donc une forme de comportement, si l’on reste en accord avec soi-même. Et pourtant, en décalage avec une réalité sociale bientôt vécue comme subie. Car là où l’on nous apprend que l’émancipation vient de l’indépendance, morale pour Kant, financière pour un étudiant – les deux étant intrinsèquement liés dans une relation qui engage des sentiments et des personnes – nous ne trouvons dans les mœurs d’aujourd’hui que désillusion et difficultés. Ces difficultés sont, pour une fois, également partagées.

Ce jeu est difficile pour l’homme, car il se retrouve lui-même dans un état de dépendance. Dépendance à un système social, qui lui impose d’être ‘maître de la situation’. Dépendance à la femme qu’il se doit d’entretenir. Rousseau explique cette tension par une loi de la nature dans Emile ou de l’éducation:

« … C’est que le plus fort soit le maître en apparence et dépende en effet du plus faible ; et cela non par un frivole usage de galanterie, ni par orgueilleuse générosité de protecteur, mais par une invariable loi de la nature, qui, donnant à la femme plus de facilité d’exciter les désirs qu’à l’homme de les satisfaire, fait dépendre celui-ci malgré qu’il en ait du bon plaisir de l’autre, et le contraint de chercher à son tour à lui plaire pour obtenir qu’elle consente à le laisser être le plus fort…[1] »

Nous dirions bien plus, femmes du XXIème siècle, que ce qui passe pour être une loi de la nature selon Rousseau – et qui continue de l’être pour beaucoup, hommes et femmes confondus – n’est en fait que la conséquence de normes sociales. Claude Lévi Strauss est passé par là…

Ce jeu est difficile pour la femme, car elle doit jongler entre un désir d’indépendance et une offre constamment renouvelée de galanterie, qui pourtant la maintient dans un état de dépendance. Entre les deux, il existe une forme d’incompréhension mutuelle, qui met la femme en porte à faux vis-à-vis d’un jeu dont elle n’est pas dupe et qui la questionne sur sa position dans le couple. Le vocabulaire en matière amoureuse en dit encore une fois assez long: ‘une femme se donne’. Elle fait don de sa personne. Un don pas si gratuit puisqu’elle a déjà reçu pléthore de galanterie, et elle en recevra de nombreuses autres, nous lui souhaitons, pour pouvoir s’en vanter auprès de ses amies qui s’en ébaudirons. Elle est donc, au final, inepte car elle rend la vie de couple impossible dans les conditions actuelles: une femme doit s’émanciper d’un homme qui doit la protéger. Il est donc temps d’abandonner le jeu social, et d’en trouver de bien plus drôles et séduisants. Et ce qui est bien, nous l’avons vu, c’est qu’une loi sociale se change bien plus facilement qu’une loi de la nature. Hommes du monde, cessez de vouloir nous aider et nous vous aiderons.


[1] Rousseau Jean-Jacques, Émile ou de l’éducation, in Œuvres complètes, Édition Gallimard, Paris 1969, p. 695.

La femme à barbe, monstre queer

Qui n’a jamais plaisanté sur les moustaches-qui-piquent de la vieille tante à qui on est obligé de faire la bise à chaque repas de famille ?
Et pourtant derrière ces blagues, une réalité difficile : l’hirsutisme, ou la « maladie des femmes à barbe ». L’hypertrichose est le symptôme d’un dérèglement hormonal qui se manifeste par une pilosité envahissante sur une partie du corps. Dans certains cas, le sujet est dans l’obligation de se raser plusieurs fois par jour.
Les femmes à barbe ont suscité énormément d’intérêt au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Source d’une véritable fascination du monde médical, elles étaient considérées comme des « monstres » et exhibées comme des phénomènes de foire.
Pourquoi un tel rejet ? Parce que la barbe est un attribut purement masculin, symbole de virilité par excellence. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est aujourd’hui utilisé par une association féministe célèbre à des fins d’agit-prop.
Etre une femme et laisser pousser sa barbe, c’est une déviance, car une femme dotée à la fois d’une barbe et d’une poitrine maternelle est un défi à la bipolarité des sexes.


Ce tableau de José de Ribera est finalement une représentation « queer avant la lettre » (Larrieu) : elle déstabilise fortement l’identité, transcende les constructions sociales des genres. A travers leurs corps, les femmes à barbe révèlent la nature floue du genre sexuel, anatomique.
Dans une recherche sur les phénomènes de foire et le zoo humain de Coney Island, le sociologue Emin Tanfer va même plus loin. Pour lui, « Le spectacle d’une femme masculine était problématique non seulement parce qu’il remettait en cause l’importance accordée par le xxe siècle à la beauté féminine, mais aussi parce qu’il impliquait une masculinité non dominante, non autoritaire et même impuissante au sein d’une société profondément patriarcale. ».

Trois petites leçons sur la condition des femmes

Dans le cadre de mon mémoire de M2 sur les femmes syndicalistes au Brésil, je me suis rendue un mois sur mon terrain de recherche, où j’ai interviewée des militantes syndicalistes et féministes, participé aux évènements en lien avec la journée du 8 mars et assisté à de nombreuses de réunions. Un terrain riche du point de vue mon objet de recherche, mais plus encore sur la condition de la femme et son statut dans la société, révélés par une simple petite phrase au détour d’une manif…

Lors de la manifestation du 8 mars, organisée le 12 mars, mon contact principal sur le terrain, l’assistante du secrétariat des femmes de la centrale sur laquelle j’enquête, une femme de 45 ans, m’a invité à venir chez elle. Jusque là tout va bien. Ce n’était pas la première fois qu’elle me faisait cette proposition, ni la première fois que je refusais. Mais cette fois, elle essaye de me convaincre avec un argument massif « viens, mon fils t’attends avec un ami à lui, il veut tellement te draguer ! Ils ont déjà prévu les bières, et ils jouent tous les deux de la guitares ». Epoustouflée, je n’en crois pas mes oreilles, et ne trouve à répondre qu’un simple « dis-leur que j’ai un copain et que je ne suis pas intéressée ». Elle insiste « ah mais ça c’est pas un problème, viens ils vont te draguer ça va être sympa, boire une petite bière… te faire courtiser… ». Je prétexte n’importe quelle excuse par l’esprit et n’y vais pas.

Que retenir de cette petite phrase innocente, aussi pavée de bonnes intentions que l’enfer sexiste et machiste dans lequel nous vivons ? Au-delà de l’aspect peut-être un peu exotique de ma personne, jeune, blanche, française, je pense qu’on peut en tirer trois leçons.

Tout d’abord une femme seule est forcément disponible. J’ai beau dire que j’ai un copain, que je ne suis pas célibataire, ça ne change rien, ça n’est pas crédible. Je suis à ce moment là seule, sans aucun mâle pour me protéger ou certifier de mon indisponibilité. Et puis après tout pourquoi je ne suis pas avec lui ? Je le laisse un mois pour faire mon terrain au Brésil, c’est que forcément je me rends disponible pour les autres, autrement je ne partirai pas si loin si longtemps. D’ailleurs ma venue n’est que dans un but récréatif ou sexuel… Quoi qu’il en soit, qu’aurait bien de mieux à faire une femme seule que de se faire draguer ? Femme seule, femme tentatrice et disponible.

Deuxièmement, une femme est un objet sans autonomie. Ce qui m’a marqué c’est que mon avis n’a compté à aucun moment de cette histoire. Tout a été arrangé sans que je ne sois jamais consultée ou questionnée sur mon envie de rencontrer ces personnes. Elle aurait pu me demander si je voulais connaître son fils, si je voulais me faire draguer par lui, ou si je voulais rencontrer un homme tout court. Non, en bonne mère qui prend soin de ses enfants, elle a trouvé un bout de viande fraîche pour nourrir son fils et l’a ramenée à la maison. Depuis quand les steaks parlent ou pensent ? Je ne suis qu’une marchandise comme une autre, là pour être offerte à qui la veut.

Troisièmement, rabaissant autant pour moi que pour lui, tout rapport entre deux personnes du sexe opposé est forcément sexuel. Elle n’a pas dit qu’il voulait me connaître, non, il voulait me draguer. Pour quelle autre raison pourrait-il vouloir me rencontrer ? Quel autre type de relation pourrions-nous avoir ? Sans même avoir jamais vu une photo de moi, sans savoir qui je suis, sans avoir la moindre idée de ce que je peux penser ou dire, c’est sûr, il veut me draguer. Et moi de même, sans avoir la moindre de qui il est, c’est sûr je veux me faire draguer (je ne développe pas plus sur la passivité de la femme). Toute relation entre nous ne peut être que relation sexuelle. Je ne suis intéressante pour aucun autre motif, et lui n’est que pulsion. Je n’ai ni âme ni pensée, ni esprit ni intelligence, je ne suis qu’un corps prêt à le servir dans ses désirs primaires. Et lui n’a besoin de rien savoir d’autre à part que je suis une fille pour me désirer.

Conclusion, la femme est tentatrice, marchandise sexuelle, et uniquement marchandise sexuelle. Ne comptant que pour son corps, n’existant que pour satisfaire les hommes, elle est forcément disponible à tout moment pour remplir cette tâche sociale et biologique. Conclusion bis : femmes du monde entier, continuons la lutte pour une société juste, égalitaire et émancipatrice !