Etre une femme libérée, tu sais c’est pas si facile


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La Parabole du Leader Price

L’autre jour, au bureau, je zonais sur internet (oui ça m’arrive) (à ma décharge ma boss m’avait demandé de classer tous les documents-ressource du serveur par thématique et ordre chronologique), et je suis tombée sur cet article. On y apprend que c’est super chouette d’être une fille, parce que qu’ “il peut suffire d’une nouvelle paire de chaussures pour que tout s’arrange”. Et puis “on mange les yaourts qu’on aime, vu que c’est nous qui faisons les courses”.

OH REALLY. Que de privilèges. Ma première réaction, outre le partage compulsif sur les réseaux sociaux, a été une crise de gloussements hystériques, qui a dégénéré en fou-rire irrépressible, puis une nausée digne du Titanic un jour de tempête, et enfin une envie compulsive de brûler un magasin Louboutin.

Je suis allée faire mes courses au Leader en continuant à pester dans ma tête contre ces Connasses-qui-foulent-au-pied-les-acquis-d’un-siècle-de-combat-féministe. Comme j’étais plutôt pressée, j’ai fait des grands sourires charmeurs aux trois hommes devant moi à la caisse pour qu’ils me laissent passer devant eux. Ce qui était, vous en conviendrez, la moindre des choses de leur part, étant donné que 1. J’avais un peu moins d’articles qu’eux à passer à la caisse et 2. Je suis plutôt pas mal performante niveau sourires charmeurs. D’ailleurs ça a marché. C’est bon d’être une fille.

Le patriarcool…

Battre des cils pour obtenir d’un homme un avantage matériel, c’est tirer parti de l’avantage principal que confère la féminité : la possibilité d’exercer un certain pouvoir sur les hommes par la séduction.

Oui, c’est indéniable, il y a des avantages, au moins ponctuels, à être une fille, ou plus précisément, à se comporter comme une (« vraie ») fille (« 101 raisons pour lesquelles c’est bien d’être une fille : 1. La tête des hommes quand on met une minijupe, 2. La tête des hommes quand on met un Wonderbra, 3. La tête des hommes quand on met des talons hauts »). C’est le patriarcool : c’est patriarcal, mais c’est cool !

 Les exemples sont légion. Très souvent, on se soumet aux normes de genre avec enthousiasme et beaucoup de bonne volonté, parce qu’on en tire un profit ou un plaisir : celui de séduire des hommes, de façon sincère ou ponctuelle et intéressée. On a donc tout intérêt et même souvent très envie, de se montrer « femme vraiment femme, c’est-à-dire frivole, puérile, irresponsable », comme le disait Simone de Beauvoir.

Par exemple, jouer l’ingénue, la décérébrée, la demoiselle en détresse, réveille facilement, chez le Mâle, des instincts protecteurs. Feindre l’admiration à grand renfort de “oh c’est tellement passionnant ce que tu racontes” (alors qu’en vrai c’est à peine plus intéressant courrier des lecteurs du Courrier Picard) : on sait que ça marche.

101 raisons pour lesquelles c’est bien d’être une fille” :

58. On peut dire « Oh, excusez-moi, monsieur l’agent, vous avez entièrement raison, tout est ma faute, je ne l’avais pas vu » et échapper à la prune.

85. Tout vœu qui commence par « Toi qui est fort, amour… » est exaucé dans 99,9% des cas.

87. Les hommes sont gentils quand ils réparent nos ordinateurs (surtout quand on fait semblant de ne rien y comprendre).)

 Alors franchement, les filles, que celle d’entre vous qui n’a jamais eu recours à ce genre de petite manipulation jette la première pierre.

 … ou la servitude volontaire

 Et pourtant tout ça, ça me gratte un peu mes petites fesses de féministe. Déjà, parce que je refuse d’admettre que les femmes soient réduites à un rôle de séductrices, cantonnées à cette forme de pouvoir indirecte et aliénante. Comme le disait Gloria Steneim: a pedestal is as much a prison as any small, confined space. Je rêve d’un monde où les femmes ne seraient pas considérées comme des objets décoratifs et pourraient être prises au sérieux pour autre chose que leur rouge à lèvre. Sans compter que je nage en pleine empathie avec les grosses, les moches et les vieilles, toutes « les prolottes de la féminité et les exclues du marché de la bonne meuf », toutes celles qui vivent à plein la domination masculine sans être en mesure d’en tirer ces bénéfices secondaires.

 Par la manière dont nous nous comportons – des normes vestimentaires aux pratiques sexuelles – nous reflétons et reproduisons volontairement, au quotidien, des normes de genre qui nous oppressent et nous maintiennent dans une position de dominées.

Comme si souvent, je n’ai pas trouvé de mots plus justes que ceux de Virginie Despentes :

« La féminité, c’est de la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour (…). Massivement, c’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure. Entrer dans une pièce, regarder s’il y a des hommes, vouloir leur plaire. Ne pas parler trop fort. Ne pas s’exprimer sur un ton catégorique ou autoritaire. (…). Plaire aux hommes est un art compliqué qui demande qu’on gomme tout ce qui relève du domaine de la puissance ».

Et pourtant, on le fait toutes, parce que le coût de la déviance est élevé. On n’aimerait pas être exclues du Grand Marché Sexuel de la Séduction, où la compétition est rude et sans pitié.

Alors, non seulement on se soumet aux normes de genre, mais on les utilise soi-même pour disqualifier les concurrentes, comme une brave petite Milicienne du Patriarcat. Mais si, vous savez bien, les filles : c’est quand vous dites d’une autre fille : « C’est vraiment une pétasse, elle se tape n’importe qui ». Phrase qui sert bien sûr à discréditer une concurrente et permet de dire aux hommes « regardez comme moi je suis une fille bien, de celles qu’on épouse » (comme l’analyse Titiou Lecoq dans son roman Les Morues). Et on feint de ne pas comprendre que tout ceci entre très légèrement en contradiction avec notre éthos féministe de petite poulette émancipée qui couche avec qui elle veut, quand elle veut, sans demander l’avis de personne. Qu’importe, à la guerre comme à la guerre !

Féminisme et schizophrénie

Est-ce que c’est grave, condamnable, de faire ainsi le grand écart entre ses actes et ses principes ? C’est pas un peu de la schizophrénie ?

Nous avons toutes, probablement, la responsabilité individuelle d’un minimum de cohérence. On ne peut pas se dédouaner allègrement du fait qu’en se prêtant au jeu, on cautionne, reproduit, perpétue, un système de stéréotypes figé, aliénant. C’est aussi chez les femmes qu’il faut traquer les réflexes sexistes larvés, en commençant par la première qu’on a en général sous la main : soi-même. Même si,  je ne vous le cache pas, c’est un peu douloureux pour une féministe de se reconnaître un comportement de femme soumise.

Autrement dit, je suis sans doute bien mignonne de donner des leçons de féminisme à la terre entière (coucou mes collègues, mes lecteurs, mes followers, mon papa, mes cousins, mes copains, mon petit frère, mon boss et le marchand de journaux de la rue des Pyrénées), mais il est sans doute temps de penser aussi à l’autocritique.

Mais la réalité, c’est que le coût de la déviance est trop élevé pour qu’aucun individu ne puisse porter tout le poids du changement social sur ses (frêles) épaules.

Les féministes ne seront jamais de bonnes compétitrices en lice pour le Prix Nobel de la Cohérence : nous sommes toutes des schizophrènes, car nous sommes toutes des dominées. Nous ne serons saines d’esprit, cohérentes, en paix avec nous-mêmes, que lorsque nous aurons aboli le patriarcat.

Et comme ça risque de prendre un peu de temps (admettons-le, c’est un risque), en attendant on navigue à vue, on se trimballe nos doutes et nos contradictions, on s’arrache les cheveux tous les matins devant la penderie. Oui je suis féministe, et je porte des minijupes, c’est sans doute une forme d’auto-réification sexuelle, et d’internalisation du regard masculin objectivant, et tout ce que vous voulez. Oui, je me nique le dos en portant des talons de hauteurs improbables, et je consacre du temps et de l’énergie à me vernir les ongles, ce qui est très objectivement absurde, c’est sûr.

On galère un peu, on fait appel à tout son humour et son autodérision pour assumer ce grand bordel existentiel, on convoque tous les auteurs postmodernes à notre rescousse pour se justifier. Et, dès qu’on peut, on recherche, à tâtons, des marges de manœuvre. Jurer comme un charretier et parler de cul librement, ça passe mieux quand on porte du vernis à ongles rouge-pétasse (si, je vous jure).

Et c’est bien pour cela qu’il me semble que le féminisme ne peut pas être simplement une question de choix personnel et d’émancipation individuelle. Il n’y a qu’une seule façon pour une féministe d’échapper à l’hôpital psychiatrique : le combat collectif.

Edit : j’ai des lecteurs et des lectrices en or, qui m’ont fait l’importante remarque suivante : cet article est hétéronormé ; les dynamiques sont fondamentalement différentes pour les lesbiennes, qui sont généralement moins promptes à rentrer dans des rapports de séduction avec les hommes.

23 réponses à “Etre une femme libérée, tu sais c’est pas si facile”

  1. nhetic dit :

    Très bon article.
    J’ajouterai que c’est également aux hommes d’apprendre à cesser de répondre à ses petites manipulations par ces élans protecteurs, patriarcaux, à cesser de se troubler devant le moindre décolleté, à apprendre à interagir avec une femme autrement que part sa toilette…

  2. leblogdalexa dit :

    Je suis plutôt d’accord avec cet article. Mais j’avoue profiter largement de tous les petits avantages que je peux avoir à être une femme! C’est quand même un pouvoir non négligeable que nous avons. Et j’adore qu’on prenne soin de moi…
    Et pourtant j’arrive quand même à être prise au sérieux quand je le souhaite. Peut-on être double sans remettre en cause ses idées? je le pense. Utilisons les armes que nous avons!

  3. Ludivine dit :

    Super article! Mais le féminisme, c’est aussi revendiquer l’égalité des genres, et donc le fait de pouvoir faire sa « minette » sans pour autant être considérée comme un être inférieur, plus fragile, etc… non?

    • Djuba dit :

      Tout dépend de ce que tu entends par « faire ta minette » : s’il s’agit pour toi de t’habiller, te parfumer et te maquiller comme tu l’entends, ça devrais aller de soit en effet mais s’il s’agit de te faire passer pour une fragile petite cruche lolilol parce que ça émoustille un paquet de mecs, le message est bien « je suis une petite créature inférieure qui ne doit sa survie qu’à l’amour des hommes ».

      On s’est tous retrouvé dans une soirée où tout ce passait bien jusqu’à l’arrivée d’une femme jouant à fond la carte BB-lolita-fatale et là : polarisation totale entre les pro-greluche (plutôt des mecs : « rhoo mais elle est super sympa, c’est quoi ces préjugés ? ») et les anti-greluche (plutôt des femmes : « non mais la honte ses fringues, on dirait une pute » et leurs petits-amis ou qui espèrent le devenir « oui tu as toutafé raison, c’est infamant pour les femmes »).
      Généralement, la soirée se finit dans une ambiance de merde et personne n’a réussi à se taper la fautive, qui a attendu le dernier moment pour dire qu’elle était en couple avec un riche chirurgien au corps d’athlète, alors occupé à sauver des enfants du tiers-monde.

  4. ango dit :

    Très bon article, très juste.
    Les commentaires sont également très intéressants. Etre femme féministe, ce n’est pas se fondre dans un accoutrement d’homme ni culpabiliser de prendre soin de son apparence, mais c’est être considérée en être égal même avec des attributs non masculins c’est-à-dire même avec des talons de 15 ou un rouge à lèvre carmin.

    Tu sais mettre les bons mots sur les contradictions que je ressens souvent et que je peine à formuler. Je me reconnais tout à fait dans :

    « Et on feint de ne pas comprendre que tout ceci entre très légèrement en contradiction avec notre éthos féministe de petite poulette émancipée qui couche avec qui elle veut, quand elle veut, sans demander l’avis de personne. Qu’importe, à la guerre comme à la guerre ! »

    « Et comme ça risque de prendre un peu de temps (admettons-le, c’est un risque), en attendant on navigue à vue, on se trimballe nos doutes et nos contradictions, on s’arrache les cheveux tous les matins devant la penderie – oui je suis féministe, et je porte des minijupes, c’est sans doute une forme d’auto-réification sexuelle, et d’internalisation du regard masculin objectivant, et tout ce que vous voulez »

    Bravo Eve!

  5. Antoine L dit :

    Pas mal du tout cet article !
    De mon point de vue d’homme-féministe-complice-à-l-‘-insu-de-son-plein-gré-du-patriarcat-aimant-regarder-les-filles, au delà des références pertinentes à D. Kennedy et V. Despentes, je dois dire que, croyant à l’égalité des sexes et à la relativité des genres, je prends ces marques de féminités pour ce qu’elles sont, à savoir des gestes qui font clairement écho (consciemment ou non selon les filles) à une logique patriarcale où la femme, sauf maman, est là pour ça. Ainsi, j’apprécie les gestes ou non, je réponds aux sourires ou non et estime qu’être séduit par un rouge à lèvre ou par la profondeur d’un décolleté implique aussi que je puisse ne pas l’être, implique aussi que je puisse le commenter. De la même façon, le sourire le plus ravageur pourra me laisser de marbre et les accoutrements les plus moches me pousser à tenir des portes, porter des sacs, …
    Cela dit, pas de raison que les hommes n’aient pas de contradiction en ce domaine. Il m’arrive souvent de devoir faire un arbitrage entre spontanéité et réflexion, ie, entre « ouaou, elle est jolie, juste comme il faut, me sourit » et « non, non, si tu as envie d’être poli, agréable, sympa, tu peux l’être, si tu ne l’es pas, ce ne sera que leçon ».
    Conclusion, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, la galanterie est sans doute une des formes les plus raffinées et douces du patriarcat. Puissions nous également nous en émanciper (et mieux se le réapproprier ?)

  6. Rachel dit :

    superbe, tout ce que j’ai voulu écrire sans jamais y arriver. Bravo !

  7. Djuba dit :

    Difficile d’imaginer ce qu’il resterait des différences sexuelles (comportementales, vestimentaires, domaines de compétences privilégiés…) dans une société totalement débarrassée de toute forme de sexisme depuis plusieurs générations. Il me semble impossible de se conformer exactement à un tel idéal dans notre société, d’où une auto-critique permanente interrogeant la cohérence de nos convictions au regard de nos actes (et d’où des féministes à talons, ou des cocos qui achètent des fringues de marque).

    En tout cas, ce n’est certainement pas mon instinct qui me pousse à laisser ma place dans une file d’attente à une gloussante demoiselle au sourire trop kawaï. La chose m’arrivant systématiquement quand j’ai une vielle envie de pisser (pourtant ma prostate va très bien, merci), celui-ci m’incite plutôt a pousser des grognements menaçants tout en révélant mes puissantes canines.
    Malheureusement, en bon primate domestiqué que je suis, les conventions sociales l’emportent et je cède ma place avec le sourire le plus charmeur possible, histoire de ne pas passer pour le pire reproducteur du quartier.

  8. Emily dit :

    Moi, je peux jeter la première pierre.
    Désolée, mais là, tu nous mets tous et toutes dans le même sac ( pour les hommes, tu as l’air de penser que ces attitudes suffisent à les avoir tous, pour les femmes, qu’elles les adoptent toutes ).
    Dans cet article, j’ai bien remarqué de l’hétéronormativité, une pression à être une VraieFemme™, une liste interminable de stéréotypes aliénants ( le beau pléonasme ). Mais jamais je ne me suis sentie concernée par les  » bonnes raisons  » qui concernaient la séduction comme arme. Je n’ai jamais pris les hommes pour des imbéciles guidés par leur attirance envers les femmes ( s’ils en ont une ). Et je n’ai jamais fait le choix d’avoir l’air stupide pour tenter le coup.

    • Eve dit :

      Bonjour,
      Oui, en effet, mon article est très caricatural. J’ai voulu forcer le trait pour faire ressortir certains comportements. Il est évident que toutes les filles n’en jouent pas de la même façon et pas au même degré (de là à dire que certaines n’en jouent pas du tout, jamais, dans un univers hétéropatriarcal j’en doute quand même un toute petit peu) de la même façon qu’il est évident que tous les hommes ne sont pas uniformément séduits par les cruches et les minettes. Dieu soit loué. Mais cela demeurent des normes, des stéréotypes, qui exercent une forme de pression sociale sur nos comportements.
      Ensuite, je n’ai jamais voulu dire ou sous entendre qu’il y avait de bonnes raisons d’utiliser la séduction comme arme. Je dis que c’est dangereux car cela nous maintient dans une position d’inférieures. Mais qu’on est souvent contraintes à des degré divers, dans des micro-interactions du quotidien, à adopter ce genre d’attitudes. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose, mais je pense que c’est inévitable parce que nous sommes dominées et que c’est ainsi que fonctionne la domination masculine : avec une carotte et un bâton, des incitations positives et négatives qui sont très puissantes et desquelles il est difficile pour une fille hétérosexuelle (oui…) de s’extraire totalement.

  9. David R dit :

    par rapport à tout ton point les femmes sont incohérentes parce que soumises, je t’invite vraiment à lire (ou à discuter avec moi…) de l’invention du quotidien de Michel de Certeaux.

    En très rapide : Il fait une distinction entre tactique (qui est le moyen d’action de classes soumises qui n’ont pas les moyens de se constituer en être autonome de leur environnement pour le modifier, mais doive faire des « coups » et du braconnage ») et stratégie (qui n’est possible que si on peut s’isoler de l’environnement).

    Du coup je trouve plus intéressante/stimulante ta conclusion sur « se dégager des petites marges de manoeuvre » que sur l’action collective. Même si vous/nous étions un million de féministes, le coût de la déviance serait encore très fort. Il ne faut pas se faire prendre, il faut « braconner » d’après le mots de Certeau pour lentement enlever le sens patriarcal à nos comportements, sans se prendre le retour de bâton du système patriarcal bien trop puissant et ancré (et se voir par exemple exclue du marché du sexe).

  10. Powlyn dit :

    Comme d’hab, j’adhère totalement… Et puis je vais l’envoyer à ma mère qui n’arrête pas de me mettre mes contradictions sous le nez !

  11. Zoé dit :

    Article intéressant et bienvenu !

    Mais, je vais me ranger aux côtés d’Emily… (et en passant 2e bingo sur l’hétéronormativité, s’il vous plaît arrêtez d’oublier TOUT LE TEMPS les lesbiennes quand on parle des femmes).

    Moi non plus je ne profite pas du tout de tous ces « avantages » car je ne peux pas les détacher de la domination masculine avec laquelle ils fonctionnent. Faire semblant d’être faible pour qu’un mec répare mon ordi ? Plutôt crever. Soit je sais faire et je fais, soit je sais pas et je le dis, mais je ne bats pas des cils ni prétends que c’est normal jsuis qu’une gonzesse, ahaha.

    Evidemment c’est pas facile toujours pour tout le monde (enfin moi je le vis plutôt vraiment bien, essayez vous verrez comme c’est cool de se reposer sur soi même et de jamais avoir à jouer la cruche). On est tous plein de contradictions sur plein de choses. J’ai toujours pensé que l’essentiel était d’en être conscient.
    Pour ce sujet tout de même, bien sûr que le féminisme passe par un combat collectif, mais je pense qu’il passe aussi par une addition d’attitudes individuelles.
    Une fille qui fait des leçons de féminisme à ses potes tout en profitant à fond de son pouvoir de séduction en renforçant ainsi les bases du patriarcat, à mon avis, ça décrédibilise une partie de son discours. Je m’insurge contre la notion de « patriarcool ». Dire aux dominés qu’elles peuvent tirer parti d’une part de leur situation de dominés, c’est tenter de les maintenir dans cette situation de dominés.
    Je pense qu’il faut parfois avoir le courage de ses opinions. Il y en a qui coûtent plus ou moins (je pense à un autre type de contradiction, quand on s’élève contre l’exploitation des enfants en Chine mais on achète tout de même leurs produits parce qu’ils sont moins chers). Par exemple savoir patienter à la caisse derrière deux mecs, parce que bon c’est comme ça que ça marche une file d’attente, non ?

    Quand au marché du sexe, à mon avis c’est encore un autre problème. Bien sûr il y a la répartition des rôles genrés dans la séduction, et ça peut être un problème. Mais utiliser la séduction pour passer devant à la caisse, c’est pas la même chose selon moi. Il y a la sphère de la séduction qui n’a pour but que la séduction et il y a le reste. Donc quand on veut pas séduire, on séduit pas.
    Un certain discours clairement anti-féministe tend à majorer l’importance des femmes dans la société en disant, en gros, qu’elles mènent les hommes par la queue à coup de mini jupes et de talons. Donc qu’elles arrêtent de nous faire chier, finalement c’est bien elles qui dominent le monde en dominant les hommes. Sans commentaires…
    Alors qu’on se nique les pieds en talons pour séduire, pourquoi pas (moi j’ai juste pas envie d’avoir mal aux pieds, donc je passe mon tour), qu’on le fasse pour avoir un job, faire sauter un PV, c’est à mon avis une chose très différente, et beaucoup plus difficile à concilier avec un engagement féministe. Si on commence par là, on peut essayer de faire bouger les mentalités..

    • Eve dit :

      Bonjour,

      Merci pour ce commentaire très intéressant et avec lequel je suis… d’accord sur tout !!

      Je pense que vous avez mal compris mon propos, qui n’était pas de dire que les filles DOIVENT tirer parti du « patriarcool », minauder et jouer les cruches. J’essaye personnellement de ne jamais le faire, même si parfois je me surprend à en jouer un peu. A la marge. Parfois. Je pense qu’en effet un minimum de cohérence entre ses opinions et ses actes est important ne serait-ce que pour être crédible.
      En revanche il me semble que pour une fille hétérosexuelle (en effet la nuance est importante), il est très difficile de ne jamais rentrer dans le jeu du patriarcat, de ne jamais se conformer aux normes et adopter les rôles et les postures socialement prescrits et assignés qui sont ceux de la « féminité ». Car la sanction est très lourde. Du coup j’ai essayé dans cet article de ne pas adopter de posture excessivement donneuse de leçons en mode « han les filles comment c’est trop mal ce que vous faites vous êtes des vendues du patriarcat ».
      Pour le reste du commentaire, sur le discours antiféministe (et féministe aussi d’ailleurs hélas cf le mouvement du lipstick feminism), je suis bien d’accord, c’est de la merde en barres.

      • Zoé dit :

        On est donc d’accord !
        Merci pour cette réponse.

      • Pascal dit :

        J’applaudis une fois de plus votre intelligence et votre lucidité. En effet, les formes du « patriarcat » (le mot me fait un peu sourire, je dois avouer, j’ai l’impression de voir le prophète Abraham et sa longue barbe grise) sont très subtiles et ont des conséquences parfois déroutantes.
        Ma grande idée, c’est que nous les hommes nous n’avons rien à gagner à cette comédie de la répartition des rôles par genre, car si nous sommes flattés de voir vantée notre rassurante puissance, nous devons parfois (en fait souvent!) subir l’humiliation suprême de la voir parfois (souvent, en fait) méconnue, et tomber du piédestal où certains compliments doux à nos mâles oreilles nous avait mis. Bien fait, sans doute, mais on a vite fait d’oublier ses principes quand momentanément on se sent du bon côté de la barrière. Puisqu’on en est à l’auto-critique.

        Ca n’a rien à voir, encore que, mais je me connectais au départ pour poser une question à la communauté féministe. Je suis traducteur et je ne comprends pas le sens exact du concept (anglo-saxon) de « Man Box ». Apparemment, c’est plus ou moins l’ensemble de « ce qui fait un homme selon l’opinion courante » mais si quelqu’un a des informations plus précises voire une traduction française reconnue, je lui en serai reconnaissant!

      • pascalinberlin dit :

        J’applaudis une fois de plus votre intelligence et votre lucidité. En effet, les formes du « patriarcat » (le mot me fait un peu sourire, je dois avouer, j’ai l’impression de voir le prophète Abraham et sa longue barbe grise) sont très subtiles et ont des conséquences parfois déroutantes.
        Ma grande idée, c’est que nous les hommes nous n’avons rien à gagner à cette comédie de la répartition des rôles par genre, car si nous sommes flattés de voir vantée notre rassurante puissance, nous devons parfois (en fait souvent!) subir l’humiliation suprême de la voir parfois (souvent, en fait) méconnue, et tomber du piédestal où certains compliments doux à nos mâles oreilles nous avait mis. Bien fait, sans doute, mais on a vite fait d’oublier ses principes quand momentanément on se sent du bon côté de la barrière. Puisqu’on en est à l’auto-critique.

        Ca n’a rien à voir, encore que, mais je me connectais au départ pour poser une question à la communauté féministe. Je suis traducteur et je ne comprends pas le sens exact du concept (anglo-saxon) de « Man Box ». Apparemment, c’est plus ou moins l’ensemble de « ce qui fait un homme selon l’opinion courante » mais si quelqu’un a des informations plus précises voire une traduction française reconnue, je lui en serai reconnaissant!

  12. Marianne dit :

    Hahaha 🙂 Délicieux ! J’aurai voulu avoir écrit cet article 😀

  13. Rob dit :

    Petite citation de Monsieur Pierre Bourdieu « La féminité est une forme de complaisance à l’égard des attentes masculines, réelles ou supposées ».
    Excellent article par ailleurs, bravo à son auteur…

  14. A. Nonyme dit :

    Bonjour, je viens de tomber sur votre article.

    Je ne correspond absolument pas à cette norme, je mesure moins d’1,50, je m’habille toujours en jean/basket/t-shirt, je mets du 46 (oh mon dieu je suis « obèse », achevez-moi), j’ai une grande gueule, je bosse dans un métier « masculin », j’aime beaucoup de choses considérées comme masculines (jeux vidéo, littérature SF…), en revanche je hais toute la culture chick, faire les soldes (hors magasins d’outilage), me maquiller/teindre mes cheveux, je ne sais ni repasser, ni me servir d’un lave-linge etc. Et avec tout ça, non seulement je suis en couple avec un homme que j’aime mais c’est justement ce côté « f**k les normes genrées » qui l’a fait craquer sur moi. C’est d’ailleurs lui le plus « féminin » de nous deux.

    PS : autre exemple, le plombier qui a refait ma salle de bain, qui a tous les attributs de la virilité et dont le loisir préféré est la couture 😛

  15. Peter Bu dit :

    Votre article m’a fait un grand plaisir, mais puis-je me permettre de contester une affirmation (juste une)?

    « Les féministes ne seront jamais de bonnes compétitrices en lice pour le Prix Nobel de la Cohérence : nous sommes toutes des schizophrènes, car nous sommes toutes des dominées. » Dominées? On n’a pas besoin d’être dominé(e)s pour être schizophrènes. « Jusqu’ici. Nous ne serons saines d’esprit, cohérentes, en paix avec nous-mêmes, que lorsque nous aurons aboli le patriarcat. »

    Même si cela apaiserait les relations entre les sexes je ne crois pas qu’abolir le patriarcat résoudrait ce problème, en tout pas entièrement. La « schizophrénie » féminine dont vous parlez résulte (aussi) de la dualité des humains – et s’applique tout autant aux hommes : comment être un bloc cohérent avec soi-même quand nous avons un besoin vital de « l’autre »?

    De « l’autre » qu’il faut pouvoir approcher, convaincre, s’attacher…?

    Plus que le patriarcat ne seraient-ce plutôt les préjugés moraux qui entravent les jeux naturels, indispensables et qui êuvent être agréables, de séduction féminine comme masculine? Merci, les églises monothéistes…

  16. Peter Bu dit :

    Peter Bu says : octobre 31, 2014 à 12:58 (« En cours de modération »: un mois plus tard, effacé. On ne discute pas?)

    Votre article m’a fait un grand plaisir, mais puis-je me permettre de contester une affirmation (juste une)?

    « Les féministes ne seront jamais de bonnes compétitrices en lice pour le Prix Nobel de la Cohérence : nous sommes toutes des schizophrènes, car nous sommes toutes des dominées. »

    Dominées? On n’a pas besoin d’être dominé(e)s pour être schizophrènes.

    « Jusqu’ici. Nous ne serons saines d’esprit, cohérentes, en paix avec nous-mêmes, que lorsque nous aurons aboli le patriarcat. »

    Même si cela apaiserait les relations entre les sexes je ne crois pas qu’abolir le patriarcat résoudrait ce problème, en tout pas entièrement. La « schizophrénie » féminine dont vous parlez résulte (aussi) de la dualité des humains – et s’applique tout autant aux hommes : comment être un bloc cohérent avec soi-même quand nous avons un besoin vital de « l’autre »?
    De « l’autre » qu’il faut pouvoir approcher, convaincre, s’attacher…?

    Plus que le patriarcat ne seraient-ce plutôt les préjugés moraux qui entravent les jeux naturels, indispensables et qui peuvent être agréables, de séduction féminine comme masculine? Merci, les églises monothéistes…

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